HANDICAP : CHANGEONS LES MOTS POUR CHANGER LES MAUX


Article rédigé par Olivier Leclercq, secrétaire confédéral CFDT et Guillaume Depincé, ergonome

1. LE HANDICAP : DES REPRESENTATIONS ERRONEES

Incompétence, fragilité, incapacité, absentéisme, lenteur, etc. Cette liste, au regard des représentations sociales que véhicule le handicap dans les entreprises, est loin d’être exhaustive. Dès lors, on comprend pourquoi la population fortement disparate que constituent les personnes dites « handicapées » est la première à souffrir de discriminations, et ce, malgré une volonté politique affichée de lutter contre ce « fléau social » (Blanc & Stiker, 1998).

Malheureusement, face au champ vaste et hétérogène que constitue le handicap, les entreprises se trouvent bien souvent démunies pour apprécier les difficultés réelles auxquelles elles sont confrontées. Il faut dire que le modèle dominant continue de cristalliser les personnes « handicapées ». L’ergonomie, quant à elle, a su poser le problème différemment. Si aux premières heures de l’investigation du champ du handicap par l’ergonomie, l’approche se focalisait essentiellement sur la personne, cette dernière, enrichie de ses pratiques, a rapidement proposé d’interroger non plus les personnes mais les situations de handicap. Dès lors, les dysfonctionnements mis en évidence par le biais de cette approche, lorsqu’ils sont traités, ne permettent pas seulement des améliorations au seul profit de la seule personne handicapée mais à tout le collectif de travail. De même, par cette approche, les ergonomes ont su ré-intérroger le handicap lui-même et modifier certaines représentations qui y sont rattachées. Toutefois, malgré les avancées indéniables qu’a permis cette approche, d’importants freins subsistent, en premier lieu desquels les trop nombreuses représentations négatives qui continuent de perdurer et ce malgré les innombrables formations et actions de sensibilisations qui n’ont eu de cesse de fleurir ces dernières années.

Aussi, l’ergonomie se doit de se questionner quant aux éléments qui continuent à alimenter ces représentations. Nous verrons qu’une des réponses envisageables repose sur le vocable usité dans le champ du handicap et ce, jusqu’au modèle même de l’approche par la situation de handicap. Dès lors, nous analyserons pourquoi l’ergonomie doit aujourd’hui se questionner sur l’étymologie propre à ce champ d’intervention spécifique. De même, nous examinerons comment l’ergonomie se doit de porter un regard critique sur les actions de sensibilisation dispensées auprès des collectifs qui, si elles ont le mérite d’exister, n’ont bien souvent pour effet que de produire le contraire de ce pour quoi elles ont été pensées, alors même que le collectif de travail reste l’un des leviers majeurs à l’insertion.

2. LE HANDICAP : UNE DEFINITION A GEOMETRIE VARIABLE

Si, à l’origine, le mot handicap puise ses racines dans un jeu irlandais du XVIème siècle nommé « hand-in-the-cap » (traduction de main dans le chapeau), le terme de handicap s’est rapidement imposé dans le milieu hippique pour signifier le poids que les coureurs les plus performants devaient adjoindre à leurs montures pour favoriser l’équité entre les participants. Donc, si le handicap renvoyait à ses prémices à la performance, ce terme, de même que l’appellation « handicapé » se sont substitués, par une pirouette étymologique, au langage de l’infirmité et à la dénomination d’infirme pour désigner les personnes atteintes d’une déficience (Doriguzzi, 2000). Dès lors, dans sa définition actuelle, le terme handicap renvoie nécessairement à une vision négative et réductrice uniquement liée à une problématique de santé, occultant non seulement l’homme mais aussi et surtout l’ensemble de ses savoirs et compétences. Malheureusement, les médias, de même que la loi ne sont pas exempts de cette problématique. Pour exemple, un article du journal « Le Monde » titrait encore récemment : « L’accessibilité des handicapés, un problème toujours pas résolu » ignorant de ce fait la personne elle-même. La loi quant à elle fait bien mention de la personne mais contribue, via son vocable, à construire une image limitée et limitante pour les individus. En effet, rappelons que cette dernière admet comme personne handicapée « [t]oute personne dont les possibilités d’obtenir ou de conserver un emploi sont effectivement réduites par suite d’une insuffisance ou d’une diminution de ses capacités physiques ou mentales » (Article L.323-10 du Code du travail). Aussi, on comprend la frilosité des entreprises pour recruter des personnes dont la définition renvoie inexorablement à des représentations négatives.

3. LA SITUATION DE HANDICAP : UNE REPONSE SEMANTIQUE AD HOC ?

Une des réponses qui permet de sortir de cette sémantique néfaste repose sur la définition offerte par la situation de handicap. Pour cela il convient de se référer à la classification internationale des handicaps proposée par Wood (Organisation Mondiale de la Santé, 1980) pour l’organisation mondiale de la santé. Cette classification qui a pour but de permettre une description des conséquences des maladies et problèmes de santé connexes distingue trois niveaux : La déficience, l’incapacité et le désavantage social.

La déficience correspond à l’atteinte, à la lésion, à une perte de substance ou une altération physiologique, anatomique ou mentale, provisoire ou définitive. L’incapacité correspond à toute réduction de la capacité d’accomplir une activité en référence à des normes générales du fonctionnement humain. Le handicap apparaît alors comme le désavantage social, conséquence de cette ou ces incapacités dans la vie du sujet inséré dans son groupe social. C’est une description des conséquences néfastes de l’interférence entre les déficiences et incapacités, d’une part et les exigences de l’environnement (de travail, en particulier) d’autre part. Il faut noter qu’il n’y a pas de corrélation entre l’importance d’une déficience et celle du handicap. Une déficience minime peut être à l’origine d’un handicap important. Ce point de vue trouve une importante répercussion dans le monde du travail. En effet, une personne atteinte d’une déficience pour laquelle une incapacité a été prononcée ne se trouve pas forcément en difficulté. C’est uniquement quand l’environnement de travail ne permet pas à l’individu de compenser une incapacité ou de mobiliser ses capacités que le handicap survient. On parlera alors de situation de handicap. Aussi, un individu se trouve en situation de handicap lorsque l’activité devient pour lui impossible ou fortement limitée. C’est pourquoi l’approche ergonomique se focalisera non sur la déficience mais sur ses conséquences dans une situation donnée (Escriva, 2004).

Toutefois, ce modèle souffre de plusieurs critiques. En effet, la notion de personne en situation de handicap tend à ne souligner que l’aspect situationnel ce qui contribue à externaliser le « handicap » de la personne. De surcroît, une approche centrée exclusivement sur l’environnement « [t]end à occulter la personne elle-même, l’expression, ainsi que les répercussions psychologiques et identitaires dont les conséquences sont fondamentales pour son insertion » (Lang, 2003). Par ailleurs, cette formulation ne peut nullement être extrapolée à l’ensemble des personnes dites handicapées, notamment les personnes atteintes de déficiences mentales profondes.

Mais la plus grande critique qu’on peut porter à ce modèle repose une fois de plus sur le vocable utilisé. Déficience, incapacité et situation de handicap revêtent tous trois des connotations péjoratives qui renvoient nécessairement à une limitation de l’homme. Pour exemple, le dictionnaire « Larousse » (éditions 2013) donne pour définition au terme déficience : « Insuffisance. Déficience intellectuelle ou mentale : insuffisance du développement intellectuel et psychomoteur se développant dès l’enfance ». La définition du terme incapacité est tout aussi porteuse de sens propre à alimenter les représentations négatives : « Etat de quelqu’un qui est incapable de faire quelque chose ; incompétence ». Aussi, bien que pertinent dans sa logique d’appréhension des situations, le modèle reposant sur la situation de handicap porte en lui-même les freins à sa propre mise en œuvre.

Cependant, nonobstant les critiques portées à l’encontre de cette formulation, approcher le maintien dans l’emploi des personnes handicapées par le biais de la situation de handicap, plutôt que de se focaliser sur les déficiences, constitue pour l’analyse ergonomique un véritable levier d’action. Toutefois, plutôt que de parler de situation de handicap, il sera préférable d’user de ce qui fait le cœur même de la discipline, à savoir la situation de travail, ce qui permettra, outre le fait même de pallier les déficiences, de questionner tant les déterminants du travail que les représentations du collectif. De même, parler de situation de travail permet de sortir d’une appellation tout aussi limitante qu’est celle du poste de travail.

4. POSTE OU… SITUATION DE TRAVAIL ?

4.1. L’aménagement du poste de travail : une solution à l’efficacité limitée

De façon récurrente, face à un salarié dit « en situation de handicap », l’ergonomie est trop souvent convoquée non pas pour aménager des situations de travail mais des postes de travail et/ou pour apporter un ensemble de solutions techniques. Certes, l’apport d’aides techniques au poste est une solution envisageable, d’autant que face à certains handicaps, le seul recours possible réside dans l’utilisation de ces aides. Toutefois, cette approche techno-centrée du poste présente plusieurs limites que l’ergonome se doit d’intégrer. D’abord, l’utilisation d’aides techniques peut fortement renforcer la linéarité d’approche entre la déficience et ses résolutions ce qui tend à renforcer des stéréotypes tels que l’aveugle et l’écran braille, le sourd et le langage des signes, etc. Ensuite, il convient de noter que cette approche se construit trop fréquemment sur des logiques normatives. Or, se limiter à des recommandations normatives aurait pour conséquence d’occulter les compétences de l’opérateur développées au cours de son activité. Ainsi, au niveau de l’opérateur, outre le préalable qui consiste à apprécier ses capacités fonctionnelles, il est nécessaire de s’intéresser aux mécanismes développés par ce dernier, qu’il s’agisse de ressources physiques ou cognitives, pour amortir les conséquences de sa « déficience ».De ce fait, les adaptations proposées à une personne pour un  type précis de « déficience » ne pourront pas nécessairement convenir à une autre personne présentant la même atteinte organique. Cette logique aurait pour effet néfaste d’occulter à la fois les stratégies de compensation et les apprentissages développés par la personne en situation (Colmont, 2001) mais également l’ensemble des éléments de variabilité qui rendent les situations de travail si singulières. Enfin, les aménagements techniques ne prennent que trop rarement en compte l’évolution de la situation et ce, tant du point de vue de l’homme que du point de vue du travail. Entendons par là que certaines pathologies présentent un caractère évolutif et, de ce fait, les solutions techniques peuvent vite s’avérer désuètes. De même, le travail peut également connaître d’importantes variabilités (modification de la production, nouvelles tâches, etc.) ce qui de nouveau rendre les solutions techniques obsolètes.

Outre les aspects techniques, l’approche par la notion de poste de travail n’est pas sans présenter d’autres problématiques, en premier lieu desquelles la stagnation au poste du fait que ce dernier n’est plus considéré comme un poste de travail mais comme un poste pour « handicapés ». Le handicap est alors associé au poste de travail ce qui a pour effet pervers de restreindre la notion d’acceptation des travailleurs dits « handicapés » et d’empêcher toute évolution du salarié vers d’autres postes. Toutefois, il importe à ce niveau de savoir dans quelles limites, le handicap et les capacités de la personne (connaissance objective de la déficience et des possibilités au poste de travail), la personnalité propre à la personne, que ce soit dans ses attitudes et son comportement, facilitent ou perturbent l’intégration (Coulibaly, 2004).

Enfin, une limite fondamentale repose sur le fait qu’un poste de travail ne résume pas tous les éléments qui déterminent l’activité de travail, attendu que de nombreux liens fonctionnels existent entre des collègues en amont ou en aval d’un processus de production. Or, ces différents liens peuvent conduire à l’apparition de contraintes qui peuvent alimenter le handicap ou imposer des façons d’opérer pouvant porter préjudice à la santé. De même, la relation entre l’individu, le système technique et le collectif ne fonctionne pas en tout ou rien mais s’inscrit dans une dynamique temporelle et spatiale mettant en jeu de nombreuses régulations tout comme des modalités de défenses, des modes de compensation, etc. Ce qui fait qu’on peut passer d’une situation non contrainte à une situation invalidante, voire handicapante.

4.2. L’approche par les situations de travail : vers une compréhension élargie du maintien dans l’emploi

Les différents arguments préalablement cités permettent de renverser le concept classique qui considère que pour un homme correspond un poste dans la mesure où ce paradigme industriel ne répond pas à la réalité d’une situation de travail. Dès lors, la prise en compte de l’activité invite à délaisser la notion d’aménagement de poste de travail au bénéfice de celle plus vaste de situation de travail.

Parler des situations de travail, c’est identifier le lien entre les capacités d’une personne et son environnement. Reconnaître que les difficultés rencontrées par le salarié résultent de la confrontation entre les capacités d’un opérateur et les exigences de la tâche c’est affirmer qu’avoir une déficience n’implique pas nécessairement d’avoir un handicap et encore moins d’être handicapé. De même, on montre que la situation de handicap ne naît pas systématiquement de la déficience d’une personne: ce sont les conditions d’exercice du travail qui, à terme, peuvent provoquer les déficiences. L’approche de la situation de travail doit donc être centrée sur la relation existante entre les caractéristiques de la personne et les caractéristiques du travail et adopter un point de vue qui interroge ces caractéristiques car c’est de la rencontre de ces caractéristiques que peut apparaître la situation préjudiciable.

Analyser les conditions de maintien dans l’emploi à partir des situations de travail conduit à élargir l’éventail des solutions, tant au niveau de la mobilité interne que des compétences mises en œuvre par les individus. Agir sur les situations de travail nous invite à prendre en compte l’ensemble des déterminants du travail et nous conduit donc à nous interroger sur la personne, sur le collectif, sur l’environnement technique, social et économique, etc. Dès lors, abordé sous cet angle, le maintien dans l’emploi devient une problématique globale pour l’entreprise et ses acteurs. Toutefois, cette approche ne sera possible que par l’analyse ergonomique qui, en changeant le regard sur le travail et par là même en dévoilant de nouvelles voies de résolution, va favoriser la mobilisation des acteurs vers des voies de constructions collectives. L’ergonome devient alors l’accompagnateur qui va changer le regard sur le travail et permettre la reconnaissance des capacités d’une personne, ce qui permet de ne plus englober celui-ci sous le terme de handicapé. De plus, en plaçant le travail au centre de la compréhension, cette approche va permettre de contourner certaines des difficultés rattachées au maintien dans l’emploi.

4.3. Quelques exemples de… situations de travail

Nombres d’exemples peuvent être invoqués pour montrer l’intérêt de recourir à une approche par les situations de travail. Un de ces exemples relève de l’aménagement d’une situation de travail pour un opérateur atteint de sclérose en plaques. Cet opérateur devait, au cours de son activité, intervenir sur des baies informatiques composées de plusieurs unités centrales qu’il devait prélever et/ou déposer. Aussi, dès qu’il devait manipuler une unité centrale, l’agent se retrouvait contraint à opérer différentes manutentions couplées à des charges pouvant atteindre jusqu’à 7 Kg. Or, du fait de sa pathologie, la manutention de ces baies représentait à la fois une contrainte en termes de santé mais comportait également un risque important si jamais l’agent venait à lâcher sa charge. Afin de corriger cet élément de la situation de travail, une des solutions mise en œuvre a été de fournir à l’agent un chariot réglable en hauteur, supprimant dès lors tout port de charge. Lors du retour d’expérience visant à valider définitivement l’ensemble des choix opérés, à la question relevant de l’utilité du chariot, l’agent a fait part du manque de disponibilité de ce dernier. En effet, il s’est avéré que l’ensemble de ses collègues travaillant sur des situations de travail analogues se l’étaient approprié. Cet exemple montre bien en quoi, une solution à portée individuelle, dès lors qu’elle est pensée via le prisme du travail réel, en arrive à faciliter le travail du collectif.

Un autre exemple permet d’illustrer comment les savoirs d’une personne considérée comme « handicapée » ont permis d’offrir au collectif de travail de nouveaux outils pour la prévention des risques professionnels. Cet exemple relève de l’insertion d’une personne sourde. En vue de faciliter l’acceptation de cet agent dans son collectif, une sensibilisation à la langue des signes a été réalisée. Durant cette sensibilisation de nombreux mots inhérents au champ lexical du risque ont été abordé du fait que les agents se questionnaient sur « comment prévenir l’agent en cas de danger imminent ? ». En effet, le travail de ces agents consiste à intervenir sur des écrans d’informations disposés à proximité de routes. Durant leur activité, il leur arrive fréquemment d’être éloignés les uns des autres (les agents intervenants en binômes sur le terrain) et de devoir, lors d’une situation à risque, s’interpeller en criant. Or, du fait d’une importante variabilité (nombre de véhicules, nombre de piétons, etc.) l’information peut ne pas être entendue. Suite à un retour d’expérience, il nous a été donné de constater que les agents s’interpellent désormais régulièrement via la langue des signes et ce, même si ces derniers ne présentent aucune pathologie auditive. Comme ils le verbalisent, l’utilisation de la langue des signes leur permet non seulement d’éviter de crier mais surtout de s’assurer que l’information est passée.

Si les deux exemples précédents soulignent l’importance fondamentale qu’est la prise en compte du travail réel dans la correction des situations de travail, ils illustrent également un autre point à prendre en considération. A savoir, le rôle fondamental que va jouer le collectif dans les cas d’insertion/maintien dans l’emploi de personnes dites « en situation de handicap ».

5. LE COLLECTIF, UNE RESSOURCE FONDAMENTALE

Il convient, lors de l’analyse d’une situation de travail, de s’interroger quant au collectif dans la mesure où le maintien dans l’emploi d’un opérateur ne dépend pas seulement de ses capacités mais aussi de la perception qu’ont les autres de son rôle et du service qu’il rend. Aussi, pour que l’acceptation de l’opérateur soit effective, il faut que l’aménagement de la situation n’entraîne pas de contrainte pour les autres voire améliore leur propre situation. Pourtant, bien souvent, les tentatives d’intégration d’une personne dite « handicapée » dans un collectif de travail tournent à l’échec. Trois raisons principales peuvent expliquer ces échecs. La première réside dans le fait d’imposer brutalement la présence d’un travailleur handicapé dans un collectif sans que celui-ci ait été associé à la construction de cette intégration. Dans ce cas de figure, le collectif va bien souvent rejeter la personne ; Une autre raison repose sur le coût des régulations liées à l’apprentissage de la personne. Ce coût, s’il est assuré par le collectif, augmentera sa charge de travail. Enfin, le dernier facteur réside dans l’aménagement du poste de travail pour la personne dite « handicapée ». Si ce réaménagement se fait au détriment de l’espace collectif, il y aura dès lors rejet de la personne. L’ensemble de ces raisons montre bien le rôle essentiel que joue la prise en compte des dimensions collectives dans l’intégration d’une personne handicapée. D’autant que le collectif, quand il participe à l’intégration, va permettre de soutenir l’apprentissage. En effet, lorsque se pose la question de l’affectation d’un opérateur à un nouveau poste se pose également la question du coût de l’apprentissage et de la perte des apprentissages antérieurs. Le collectif, s’il participe, pourra favoriser la transmission et l’apprentissage des savoirs nécessaires à la personne pour pouvoir tenir le poste. Outre la participation du collectif, pour que l’intégration d’un opérateur soit effective, plusieurs autres conditions doivent être respectées. D’abord, il est important que la personne puisse suivre la même évolution de carrière que ses collègues pour ne pas être contraint à subir la stagnation à son poste de travail. De plus, il faut que l’aménagement de son poste puisse permettre son « utilisation » par les autres opérateurs. Enfin, la personne doit pouvoir fournir un travail équivalent par rapport aux autres opérateurs. Au final, quand l’insertion au collectif est réussie, les représentations du collectif vis-à-vis de la personne vont changer et dès lors, celui-ci sera admis au même titre qu’un autre opérateur (Velche & Lermigny, 1994).

Notons que pour pallier aux problématiques induites par les représentations souvent négatives du collectif, de nombreuses structures proposent aujourd’hui des actions de sensibilisation. Si elles ont le mérite d’exister, nombre d’entre elles restent néanmoins critiquables sur le fond. En effet, trop souvent ces structures invitent les participants à se mettre à la place des personnes « handicapées » en leur faisant essayer un fauteuil roulant ou bien encore en leur faisant effectuer un parcours dans le noir en vue de les sensibiliser aux problématiques liées à la cécité. Dès lors, sous couvert d’empathie, ces actions de sensibilisation finissent par sombrer dans une démagogie qui, de même que pour le vocable inhérent au handicap, ne font qu’alimenter une représentation limitante de la personne, là où les formations devraient mettre l’accent sur les compétences, les stratégies opératoires, etc. développées par les personnes. De même, les formations devraient être pensées de manière à questionner les situations de « handicap » afin que chacun puisse conscientiser que tous, un jour ou l’autre, nous pouvons être « handicapés ».

6. HANDICAP : CHANGEONS LES MOTS

Malgré les avancées majeures apportées par l’ergonomie, le combat est loin d’être gagné. Mal connue, l’ergonomie continue d’être entachée par des clichés contre lesquels elle doit chaque jour se battre. Mais la méconnaissance de cette discipline fondamentale n’est pas l’unique raison pour justifier des échecs au maintien dans l’emploi car, même si l’ergonomie a aidé à transformer certaines des représentations sociales, les personnes « handicapées » continueront d’être stigmatisées dans la mesure où notre société tend à juger Les capacités d’un individu à partir de ses caractéristiques physiques ou mentales (Fardeau, 2004). Aussi le maintien dans l’emploi d’une personne « implique aujourd’hui un effort sur soi de la société, un combat toujours renouvelé contre des représentations et des fantasmes » (Le Breton in Ergonomie et handicaps moteurs; p21).

Comme le disait Tahar Ben Jelloun, « La nature crée des différences, la société en fait des inégalités. ». Il devient nécessaire de s’interroger sur les mots usités dans le champ du « handicap » car c’est par notre vocable, porteur de sens et de représentations, que commencent les inégalités et par la même que naissent les maux. L’ergonomie, parce qu’elle a toujours su se questionner sur sa pratique, se doit aujourd’hui de porter ce combat afin de détruire les trop nombreuses idées reçues qui n’ont pour effet que d’enfermer l’homme dans une vision limitée de lui-même. Car, et c’est bien là l’une des plus belles leçons que nous offre l’ergonomie, celle de nous rappeler, comme disait Bodin, « qu’il n’est de richesses que d’hommes ».

Références bibliographiques

Lang, G. (2003). De la personne « handicapée » à la personne « en situation de handicap » : d’une exclusion à l’autre ?. Education permanente, 156, 123-129.

Velche, D., Lermigny, G. (1994). Les dispositifs d’insertion et/ou de maintien dans l’emploi de travailleurs handicapés. CTNERHI.

Blanc, A., Stiker, H.-J. (1998). L’insertion professionnelle des personnes handicapées en France. Desclée de Brouwer.

Segura, J.-L. (2000). L’aménagement des situations de travail pour l’emploi des personnes handicapées. Synthèse et pratiques, 1.

Doriguzzi, P. (2000). L’histoire politique du handicap : De l’infirme au travailleur handicapé. L’harmattan.

Escriva, E. (2004). Les situations de handicap : le maintien dans l’emploi. Collection Agir sur. ANACT.

Colmont, H. (2001). Handicap, inventivité et dépassement. L’harmattan.

Coulibaly, A.-A., Fardeau, M. (2004). Droit au travail et handicap : L’obligation d’emploi entre mythe et réalité. L’harmattan.

 

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